Le casino pouvait déclencher plusieurs réactions toutes plus intéressantes les unes que les autres et que Leona connaissait presque par cœur. Tout d’abord, il y avait l’effervescence, la bonne humeur, le plaisir de jouer, de parier, de miser, l’adrénaline de tenter le tout pour le tout, l’orgueil qui s’enhardissait et parfois le plaisir d’avoir de charmantes créatures du sexe opposé à leur côté pour leur souffler à l’oreille des mots d’encouragements, des promesses de récompenses merveilleuses … La spécialité de Priscilla. Promettre la Lune et s’en aller roucouler avec le prochain pigeon un peu trop vaniteux pour lui faire vomir tout l’argent que le malheureux avait amené. Une experte de choix qui faisait le bonheur de leur
patron. Puis il y avait ces clients qui venaient simplement pour se détendre et profiter de l’ambiance particulière que la Pièce avait réussi à instaurer en ce lieu ; généralement, ces personnes venaient pour deux ou trois parties et s’en allaient après s’être déshydraté au bar, le visage souriant. Et enfin, il y avait ceux qui hurlaient à la débauche. Et Leona ne savait jamais véritablement si elle pouvait être d’accord ou non …
L’une des premières choses qui lui venait en tête à la contractante du Soleil quand on parlait du QG de son groupe était de loin les tenues de Priscilla qui feraient rougir ce pauvre Luca de gêne. La souffleuse de verre en venait même à se demandait parfois s’il ne venait pas à imaginer sa précieuse
Mademoiselle dans l’une des robes que la châtain n’oserait jamais porter. Quoique … Si porter rien qu’une robe lui permettait de mettre fin à son ô-combien-trop-long célibat, elle ne devait pas cracher sur cette possibilité. Et puis il y avait Debito … Les pas de la jeune femme se firent soudainement plus lent en repensant au borgne, son visage faisait soudainement une bien vilaine grimace.
Debito, ce simple nom résumait bien des choses.
Debito, aka le contractant de l’
Eremita, le chef de la pièce, un des plus grands coureurs de jupon de tout Regalo – si ce n’était de l’île toute entière – et accessoirement, très bon ami d’enfance. Alors pourquoi se rendre au casino presque à reculons ? Tout simplement car cet unique homme avait plus de dossiers sur elle que n’importe qui dans le monde entier, qu’il s’amusait à jouer avec ses réactions et qu’il était plus jeune qu’elle. Oui c’était une raison largement suffisante pour la jeune femme de se mettre à grimacer : Debito était plus jeune qu’elle d’à peine un an, une misérable année et il était mieux gradé qu’elle ne le serait certainement jamais. Sans oublier cette tendre Priscilla qui lui rappelait que malgré sa position de Soleil, son statut au sein de la
Famiglia n’était pas très élevé … Ce genre de réflexion avait le don pour miner le moral de la jeune femme qui s’en allait boire de l’eau jusqu’à ce que sa vessie lui ordonne de cesser cette nouvelle forme de maltraitance. Et rajoutons à cela un petit frère particulièrement fan du patron de la Pièce et les journées de la jeune femme pouvait rapidement devenir cauchemardesque, éveillant en elle un démon cracheur de feu qui amusait tout particulièrement les enfants de Regalo. Mais Debito était aussi sans doute l’homme le plus envié de toute la ville … Combien d’hommes tueraient pour être, comme lui, entouré de ravissantes créatures prêtes à tout pour un peu de son attention. Cela en était presque terrifiant et donnait des sueurs froides au Soleil.
Elle ne voulait même pas imaginer la possibilité d’un enfant illégitime … L’amitié avait bon dos avec cet homme, mais dans le fond, elle l’appréciait quand même. Ils étaient amis depuis si longtemps, il savait tant de choses sur elle – l’inverse n’étant malheureusement pas applicable, maudit soit-il à tout garder pour lui et à lui cacher sa relation secrète avec Kyrielle ! – qu’elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver une forme de tendresse pour lui.
Alors pourquoi se rendre au casino à reculons ?
Le casino n’était pas véritablement son lieu de travail, Leona se chargeant essentiellement des transports d’argents et des finances globales de la Pièce, pourtant, il n’était pas si rare que ça de la voir pénétrer dans le casino à la recherche de l’homme le plus populaire de Regalo pour faire un rapport ou bien recevoir des instructions. En théorie tout du moins, quand il ne s’amusait pas à la taquiner et à la rendre rouge écarlate … Debito était véritablement impressionnant quand il s’agissait de faire rougir son amie … Mais là n’était pas la question ! Tout d’abord, Leona ne porta de jupes ou de robe, c’était tenue de travail presque obligatoire. Alors au milieu de toutes ces femmes plus splendides les unes que les autres, la châtain n’avait qu’une envie, fuir dans le fin fond de son atelier pour faire une colombe de verre et ne jamais ressortir. Et puis il y avait tous ces hommes aussi, qu’elle pouvait trouver charmant mais qui ne la voyaient pas à cause de l’uniforme. Un drame pour son petit cœur d’artichaut ! Sans oublier le patron qui veillait au grain et ne loupant jamais une apparition de la jeune femme.
Mais ce jour-là, alors que ses pieds trainaient de plus en plus, Leona se rendait au casino à la demande d’une certaine
blondasse qui l’avait explicitement demandé de venir pour qu’elle puisse lui raconter son dernier voyage en date. Un transport qui avait pris près d’une semaine pour se rendre à Arte et revenir. La jeune femme en avait encore les bras engourdis et n’avait qu’une seule envie : celle de se jeter dans sa baignoire, dormir et de passer sa journée de demain dans son atelier bien aimé. En pénétrant l’intérieur du casino, l’ambiance presque envoutante du lieu et les rires la gagnèrent, la faisant sourire malgré toutes ses appréhensions. «
Il faut quand même l’avouer, Debito fait un excellent travail … » se souffla-t-elle pour elle-même alors qu’elle avançait dans la salle cherchant son amie aux deux arguments vendeurs. Elle regarda autour d’elle, cherchant vivement de la tête celle qui avait exigé sa présence en ces lieux, dévisageant parfois quelques visages d’hommes qui lui accordaient des sourires polis quand leurs regards se croisaient.
Mentalement, Leona se demanda combien de rencontres s’étaient faites en ce lieu d’argent et de dépenses ?
«
Leonita, sole mio. » Leona sursauta presque, tournant vivement la tête vers l’homme possédant cette voix bien trop intense pour son pauvre cœur, le rouge naissant déjà sur ses pommettes, assombrissant son visage bronzé, alors qu’elle fusillait le coupable du regard. Debito l’avait trouvé avant qu’elle ne trouve Priscilla. «
Qu’est-ce qui t’amène dans le coin ? Aucun souci avec les transports j’espère ? » Leona se renfrogna légèrement en croisant les bras, ses joues reprenant lentement une couleur tout ce qu’il y avait de plus normale ; il était normal qu’il s’inquiète pour ce genre de détail en tant que patron de la pièce. «
Et bien, en fait- HEY ! » Mais déjà, le borgne avait passé son bras autour celui de son ainée et l’entraina prestement près du bar avant de s’installer avec ce flegme qui le caractérisait tant aujourd’hui. La châtain le regarda, les sourcils froncés et faisant la moue – avec ces éternelles petites taches rouges sur ses pommettes – devant ses prises d’initiatives. Elle n’avait aucunement envie de devoir subir le courroux de ses trop nombreuses prétendantes ou bien de sa petite amie cachée ! Debito lui lança un sourire auquel elle répondit en détournant la tête. «
A moins que tu veuilles juste prendre un verre avec un vieil ami ? »
La blonde le regarda en coin avant de soupirer et de laisser tomber son masque de boudeuse, grimpant sur l’une des chaises hautes et s’appuyant contre le bar avant de lui accorder enfin un sourire. Si Debito ne s’amusait plus à la mettre mal à l’aise comme il savait si bien le faire, la jeune femme n’avait aucune raison de prendre ses jambes à son cou en bégayant et rougissant comme une collégienne. Ah ah … sa résistance était vraiment nulle. Leona fit signe qu’on lui apporte des verres d’eau en s’étira avant de se tourner vers son patron et ami. «
Et bien figure toi très cher que tu viens de me kidnappé d’un rendez-vous ! » Elle lui tapa la poitrine de l’index, comme accusatrice, le sourire aux lèvres avant d’attraper le verre d’eau venant d’arriver et de boire une gorgé. «
Mais Priscilla est introuvable … Je suppose qu’elle est encore en train de plumer un pauvre malheureux ayant ouvert un peu trop grand la bouche … »
Oui, un rendez-vous avec Priscilla. Elle s’abstint de rajouter qu’elle aurait préféré rejoindre un homme ou bien qu’on lui avait posé un lapin la semaine qui avait précédé sa mission sur Arte. Non, vraiment, le Don Juan de Regalo n’avait pas besoin de connaître tous ces petits détails qui lui auraient donné quelques cartes en mains. Leona riait jaune à chaque fois qu’elle imaginait Debito en apprendre plus sur elle qu’il n’en savait déjà. «
Oh, et pour la mission … Et bien comme il y avait pas mal à transporter, tu sais que j’avais opté pour une calèche plutôt. On a plus de capacité d’espace et pour retenir les sacs c’est beaucoup plus simple. Mais bon sang, j’avais oublié à quel point la route pour Arte pouvait être aussi horrible ! » La souffleuse de verre fit de grand geste pour montrer son exaspération, son visage montrant son exaspération alors qu’elle posa son front contre le comptoir. «
Les roues se sont prises trois fois dans des trous. Et je suis persuadée que mes hommes me confondent avec Pace ! » Elle se releva vivement et se pencha vers Debito. «
Ils doivent penser que c’est moi qui possède la force sur-humaine, c’est pas possible autrement ! Ils sont fous, je me suis cassée le dos je te jure, une catastrophe. J’ai pourtant pas la tronche du mangeur de lasagne ! Et ça se voit qu’on est pas du même sexe tout de même … »
Leona en rajoutait beaucoup dans sa gestuelle, son visage expriment sa souffrance comique qu’elle avait vécu. «
Je devrais faire plus comme Mademoiselle ! ». Puis un énième soupir, elle vida son verre d’eau d’une traite et en recommanda un autre avant de se tourner vers son ami, avant de sourire de toutes ses dents, comme si libérer son exaspération lui avait libérer du poids sur ses épaules. «
Mais sinon, comme d’habitude, aucun soucis, tu n’as pas à t’inquiéter, j’ai veillé au grain. Mais et toi ? Tu as délaissé tes futures femmes pour mes beaux yeux verts et mon corps de déesse grecque ? Je suis presque surprise ! » Un léger rire, elle lança un coup d’œil discret à toutes ces femmes qu’elle savait amouraché du bel italien.
Les malheureuses, elle ne savait pas qu’il était déjà en couple ; c’était du moins ce que se persuadée Leona.