Un bâillement s'extirpa sans vergogne des lèvres du jeune homme. Sans vraiment vouloir retenir cette marque de fatigue, il ne prit même pas la peine de masquer en posant sa main devant sa bouche. S'il était fatigué, c'était tout à fait normal. Quelle heure était-il au juste ? Trois heures du matin ? Quatre heures même peut-être. Il faisait nuit dehors, et les seules lumières qui se reflétaient dans l'eau étaient électriques. Will était assis sur les rebords de son bateau, les mains de chaque côté de son corps et les pieds dans le vide, au-dessus de l'eau. La soirée, ou plutôt la nuit était calme. Il n'y avait plus un chat dans le port. Même les marins étaient rentrés chez eux. Le capitaine avait autorisé à ses matelots de dormir dans une chambre de la ville. Eux aussi avaient le droit de dormir sur un bon matelas de temps en temps. De toute façon, le capitaine ne quitterai jamais son bateau, alors tant qu'il restait une dizaine d'homme à bord, il laissait les rênes libres aux autres. Et puis, au final, ils n'en revenaient que revigorés.

La question à présent était plutôt la suivante : Pourquoi ne dormait-il pas ? À l'origine, tout cela était parti de la petite ville. Will s'amusait bien, dans le casino. Il gagnait presque toujours pour le coup. Mais les heures sont passées, passées, et passées si vite qu'en sortant, le soleil avait disparu. Alors, l'homme était parti se coucher. Le problème s'était posé aux environs de deux heures du matin. Will s'était réveillé en sueur, alerté par un mauvais rêve. Les cauchemars, comme la plupart des gens, il détestait ça. Ces rêves lui provoquaient toujours une série de fourmillements et de sueurs froides. Et après, il lui était toujours difficile de se rendormir. Tout comme à présent. Nous en revenions à l'instant principal. Les lumières s'éteignirent tout à coup et le garçon fut bien en peine de soupirer profondément. Ça, il s'y était attendu. Après tout, l'électricité coûtait cher, et à cette heure-ci, il était supposé n'y avoir personne dehors. Will était penché au-dessus de l'eau devenue noire en l'absence de lumière. On aurait dit du pétrole. Il leva les yeux au ciel, découvrant un ciel chargé d'étoiles. La lumière avait ses avantages, mais une fois éteinte, elle mettait en valeur ces petits détails naturels. Le vent était chaud. Agréable.

Lentement mais sûrement, les yeux du capitaine tendirent à se fermer. Il cligna plusieurs fois des yeux, puis passa ses pieds au-dessus des rebords du pont et retourna à sa cabine avant de terminer sa nuit. Malheureusement, cette dernière fut plus courte qu'il ne l'avait imaginé. Réveillé aux aurores par un de ses pirates, il râla quelques paroles. Le capitaine rattrapait toutes ses heures de sommeil actuellement. Alternant nuits de quatre à seize heures, on ne pouvait pas dire que son horloge biologique était à l'heure.

L'homme s'habilla en hâte, posa un chapeau sur sa tête, referma sa chemise et prit une veste au hasard avant de descendre. On lui avait gentiment rappelé qu'il avait la veille tiré à la courte paille, avant de partir pour casino, et qu'il avait perdu. L'enjeu était celui des courses. Eh oui, vivre de vol à la tire ne suffisait pas pour nourrir tout un équipage pendant plusieurs mois. Et puis, la coque était pleine à craquer d'or, alors il fallait bien s'en servir de temps en temps. Mais voilà, dépenser de l'argent pour se nourrir alors que Will était un pirate, c'était une chose totalement inconcevable, tout comme pour la majorité de ses collègues. Il a donc fallu tirer à la courte paille. Et capitaine ou non, tout le monde participait. Le jeune homme détestait ce jeu, car il perdait à chaque fois et finissait pas penser qu'il y avait triche. Bref. Toujours est-il que promesse faite était promesse due.

Will se dirigea alors vers un centre commercial plutôt conséquent y pénétra sans plus d'observation. Plus vite il serait rentré, plus vite il en serai sorti. Et puis c'est tout. Il passa en revue rapidement tous les rayons et prit à peu près tout ce qui l'intéressait, sans se soucier du prix. Après tout son porte monnaie était sur le point d'exploser. Il en avait d'ailleurs de différentes sortes, afin de stocker les différentes monnaies et de ne pas se mélanger. D'ailleurs, au moment de passer à la caisse, il vérifia sa monnaie. Soit dit en passant, il trouvait les pièces de monnaie italienne grossières comparées à celles allemandes. De plus, la monnaie allemande était ô combien supérieure à celle de l'Italie.

Le garçon, plongé dans ses pensées, donna presque l'appoint avant de se rendre compte qu'une pièce allemande était venue s'intercaler dans ses autres sous. Il se pencha alors pour la récupérer mais la caissière s'en saisit. Allons bon, et c'est lui qu'on traitait de voleur maintenant ? Le pirate leva la tête, demanda poliment à récupérer son argent, mais la dame refusa tant et si bien que Will finit par s'exprimer dans sa langue natale, toujours polie ou tout du moins ayant l'air de l'être. Ses vraies paroles n'avaient rien de mélioratif, bien au contraire. Il parvint à reprendre sa pièce et profita de cette petite dispute pour passer une main près de la caisse. Les gens s'énervaient vraiment pour rien. Lui sortit aussitôt, suivit par la caissière criant au voleur. Heureusement, cette dernière ne le suivit pas bien longtemps, rapidement fatiguée. Il s'engouffra alors aussitôt dans une ruelle mal éclairée et posa ses courses au sol en riant à gorge déployée. Il se fichait pas mal d'être repéré, pour peu qu'il s'était déjà bien amusé. Les italiens étaient vraiment d'amusants personnages.

On n'avait pas idée de se lever aux aurores, alors que les gens "normaux" dormaient encore. Pourtant, c'était ce qu'Alda avait été forcée de faire. Baillant à s'en décrocher la mâchoire, la rouquine jetait des regards désolés autour d'elle. La ville s'éveillait à peine qu'elle en avait déjà fait le tour. Le soir précédant, le cuisinier lui avait en effet demandé de... faire des courses. Mais oui, voilà qui était très motivant ! La rouquine n'avait pas su dire non, se contentant de saisir la liste qu'il lui avait tendue. Sur le moment, rien ne lui avait semblé plus naturel que d'accepter. Elle devrait peut-être réfléchir davantage la prochaine fois qu'on lui demanderait de se lever avant le soleil. Le visage caché derrière un sac rempli de fruits, la demoiselle avançait à l'aveuglette. Elle conaissait les rues par cœur, elle n'avait donc aucunement besoin de se soucier du chemin à prendre. Elle était tellement fatiguée qu'elle aurait pu s'endormir sur place. Voilà ce qui arrivait à force de passer ses soirées à discuter avec des collègues. On se fatiguait inutilement. Posant sa tête contre le sac de papier qu'elle tenait fermement, Alda ferma peu à peu les yeux. Oui, vraiment, elle serait bien capable de s'endormir en marchant.

Le soleil devait être levé depuis à peine une heure, mais ses rayons réussirent pourtant à éblouir la Secrétaire, la forçant à ouvrir les yeux malgré elle. Ramenant une main devant ses pupilles écarlates, elle releva la tête et se saisit de la liste que lui avait confiée le cuisinier. Elle avait tout, il ne lui restait plus qu'à rentrer au manoir. La jeune femme bailla une dernière fois et jeta un regard aux alentours. Les rues commençaient à s'animer. Il était plus que temps de retourner au QG, ou Alda se mettrait à bavarder avec toutes les connaissances qu'elle croiserait. Et il y en avait un peu trop pour qu'elle puisse se le permettre maintenant. Déjà qu'elle avait perdu près d'un quart d'heure à discuter avec le primeur... Si elle voulait éviter la foule, il n'y avait qu'à passer par les ruelles. Une chose était sure, peu de monde aimait se promener dans une rue d'un mètre de large. Calme, quand tu nous tiens.

Sans hésiter, Alda s’engouffra dans la première ruelle qu'elle vit. Au bout de quelques mètres, les bruits de la rue principale commencèrent à s'estomper. Bon, au moins, elle avait échappé à des heures passées à discuter avec les habitants de Regalo et donc, logiquement aux remontrances auxquelles elle aurait eut droit si elle était rentrée trop tard au manoir. Quand il s'agissait de nourriture, le chef cuisinier n'était pas du genre patient. Soudain, Il Sole entendit un éclat de rire. Ah... Il existait donc des gens capable de partir dans un fou rire alors qu'ils se trouvaient dans un passage sombre à sept heures du matin ? Intriguée, Alda accéléra légèrement pour trouver d'où provenait cette voix. Surement un excentrique. Ou un ivrogne, au choix.

Comme son champ de vision était caché par son sac de courses, la rousse pencha la tête sur le côté, curieuse... Bon, le jeune homme aux cheveux roux qui se tenait devant elle n'avait l'air ni soul, ni d'un détraqué, c'était déjà cela de gagné. Cependant, la cause de son hilarité était telle qu'il ne prêta pas attention aux deux grands yeux rouges qui l'observaient avec fascination et intérêt. De là où elle était, Alda ne pouvait voir que la moitié droite de son visage, mais ce n'est pas pour autant qu'elle se retint de faire son inspection habituelle. Déjà, ses cheveux roux -ou rouges, qui sait ?- ne manquèrent pas d'attirer son attention, même si un chapeau l'empêcha de les admirer à loisir. Il Sole avait toujours aimé les personnes originales, soit par leur attitude ou simplement leur physique. Elle continua son examen aussi rapidement, se rendant ainsi compte qu'elle n'avait jamais vu ou ne serait-ce que rencontrer l'étranger. Surement un marin ou un nouvel habitant.

Après ces cinq secondes à le dévisager sans rien dire, Alda posa son sac rempli à ras bord sur le sol pavé le plus silencieusement possible, puis s'approcha du roux. Elle se pencha sur le côté pour plonger son regard curieux dans les yeux verts du jeune homme. Ou plutôt de son unique œil, l'autre étant caché par un bandeau noir. Cependant, elle ne fut pas surprise. Elle n'avait aucune raison de l'être, après tout. Qu'il ait un œil en moins ne l'intéressait pas le moins du monde. Étrange, pour une curieuse compulsive, non ? Elle cligna des yeux plusieurs fois, fixant celui, vert émeraude, de l'inconnu.

- Dites... Tout va bien ?

Il était facile de débuter une conversation dans un cadre normal. Allez le faire dans une ruelle étroite, avec un rouquin borgne riant aux éclats. C'était légèrement plus compliqué...

Les habitudes des italiens étaient vraiment amusantes. C'était peut-être aussi simplement l'habitude des marchands. Crier au voleur était vraiment inutile pour lui. Il était vraiment difficile de l'attraper sans avoir l'habitude des courses poursuites. Et visiblement, ce n'était pas le cas de la marchande. Encore une fois, il avait escroqué quelqu'un, même si ce n'était pas sa première volonté. Comme quoi, sa sale manie de voleur le rattrapait. Décidément. Alors voilà, il s'était simplement mis à rire à gorge déployée dans une rue. Lui et ses paquets semblaient visiblement hors de danger. Mieux fallait-il qu'il rentre au bateau maintenant avant de croiser quelqu'un au détour d'une ruelle.

Malheureusement, cette personne fut plus rapide que sa volonté, et bientôt il sentit la présence d'une personne. Enfin... sentir était un bien grand mot, il ne l'avait même pas aperçu à son arrivée. Will posa alors enfin son regard sur la nouvelle venue. Oh, une femme. Tant mieux tant mieux. Il préférait ça à un vieux trentenaire. En même temps, il fallait être un peu étrange pour venir voir un homme riant aux éclats dans une rue étroite. Sans doute même terminait-elle en cul de sac. Qu'importe.

- Dites... Tout va bien ?

Bien. Ça il comprenait. À en juger par le ton de la voix, c'était une question. Puis, en observant le regard posé sur lui, la nouvelle venue avait l'air de s'adresser à sa personne. Il en déduit, sans être sûr, qu'elle voulait savoir s'il se portait bien. Un équivalent de « comment allez-vous » en quelque sorte, un peu plus penché sur le « vous êtes sûrs que vous allez bien » ? Hum, une chose de ce genre oui. Le capitaine baissa un peu le regard sur la demoiselle. Très jeune. Tout du moins elle paraissait beaucoup l'être. Will s'empêcha de soupirer en remarquant la petite poitrine de la demoiselle face à lui. C'était l'une des principales raisons pour laquelle il ne la considérait pas vraiment comme une femme. Il était un peu exigeant dans cette matière. Peut-être un peu pervers sur les bords, mais c'était un homme qui pouvait ne pas voir de femmes pendant plusieurs mois lorsqu'il était en mer. En fait, de toute façon, s'il avait pu se marier avec quelqu'un, il l'aurait fait avec son bateau. C'est son fils, sa femme, son jouet, son tout à la fois. Jamais une femme ne pourrait égaler l'amour qu'il porte à son bateau. C'est un peu malsain comme relation, mais après tout, c'est toute sa vie.

BREF.

Toujours est-il qu'il se contenta de regarder la demoiselle. Elle était rousse elle aussi. D'un roux tirant sur le rouge, le rose, qu'importe un roux différent du sien, mais pas assez brun pour être qualifié en tant que tel. Bizarre. Et ses yeux s'accordaient parfaitement à cette couleur étrange, même s'ils s'apparentaient plus à un rouge clair. Curieux, il n'avait jamais vu d'yeux de ce genre. C’était impressionnant. Cette ville avait décidément une drôle de faune pour habitants. Ça méritait que l'on s'attache à cet endroit un peu plus en profondeur. Finalement, Will jugea important de répondre à la question de la demoiselle, ne serait-ce que pour montrer l'intérêt qu'il lui porte. Mais alors, la discussion s'arrêterait là. Il ne parlait pas bien l'italien, et comprenait légèrement mieux. À savoir que légèrement voulait dire deux mots de plus. Négligeable. Le capitaine regarda si la demoiselle portait quelque chose de cher sur elle. Mais rien, ou tout du moins ne voyait-il rien. Il y avait bien ses courses, mais bon, que pouvait-il bien en tirer ? Non, il n'y avait vraiment rien de très intéressant. Si ce n'était sa personne. Il croyait les gens des villes assez distants. Le simple fait de leur discussion était une étrangeté.

-Oui, oui.

Et voilà, il avait dit deux mots. Enfin, un seul répété deux fois. C'était déjà ça. Il aurait pu s'amuser un peu plus s'il connaissait quelques mots de plus, mais malheureusement ses connaissances s'arrêtaient là. Tout au plus était-il capable de dire son nom. Mais en tant que pirate, il n'était pas non plus autorisé à balancer son nom à travers champ. Will tâchait de ne pas trop se faire connaître, surtout aux yeux d'inconnus. Savait-on jamais. En tout cas, il continuait à sourire. La situation l'amusait beaucoup. Il était causant en temps normal, ça oui, mais alors encore fallait-il pouvoir s'exprimer sans problème. Sans dévier son regard, il poursuivit, perdu dans ses pensées.

-Regalo est vraiment une ville étrange.

Ça l'énervait de ne pas pouvoir parler sans soucis. Alors, il s'exprima dans sa langue natale, comme pour se prouver à lui-même qu'il était encore en capacité de le faire. Dès lors, Will inspira et ajusta son chapeau sur sa tête. Il se souvint alors d'une phrase déjà construite et dit alors :

-Et... qu'est-ce qu'il y a ?

Même s'il n'allait pas comprendre la réponse, si tout du moins la femme prêtait attention à son baragouin malgré son accent très prononcé, au moins, il avait eu le courage de s'exprimer sans être vraiment persuadé de la nature de sa phrase. Il pouvait tout aussi bien déballer tout son maigre savoir maintenant, mais ça n'aurait aucun intérêt. Au moins, grâce à sa phrase en allemand, la demoiselle savait un peu à quoi s'attendre de leurs échanges futurs. L'homme reprit alors ses courses, prêt à retourner sur son bateau. Il était pot de colle oui, mais à défaut de parler, il était un peu limité.

Il avait de beaux, de très beaux yeux, (ou peut-être devrait-on dire un très bel oeil ?) et cette constatation ne fit qu'encourager Alda à dévisager l'inconnu avec plus d'insistance. Il avait l'air dubitatif, mais il souriait pourtant, ce qui était assez étrange. La demoiselle avec l'impression que le rouquin l'inspectait et dut faire un effort pour ne pas se dandiner sur place. Elle enfonça les mains dans les poches arrière de son short puis, sans aucun état d'âme, imita l'homme et commença à détailler chaque parcelle de son corps. Oui, définitivement, c'était son œil émeraude qu'Alda préférait. Pas que l'inconnu ne soit pas beau ou autre, non, mais sa pupille verte était tout simplement magnifique. Pour ce qui était de son physique à proprement parler... et bien, disons qu'il n'avait rien à envier à quiconque, ni par son apparence, ni par sa prestance. Car oui, même s'il n'était absolument pas imposant, il avait une certaine élégance, même dans une ruelle de un mètre de large et accompagné d'une petite rouquine curieuse. Plus intriguée qu'intimidée, cette dernière plissa les yeux. Le jeune homme lui rappelait un peu Aria. Il n'y était pour rien, mais il avait une présence qui lui donnait envie de le suivre à la trace durant des jours pour en connaitre la source. Le pire dans cette histoire, c'est que la Strazielo et Alda était devenu amies. Dans le genre effrayant... La demoiselle commença à sourire, à la fois pour évacuer son malaise et encourager le roux à lui répondre. Elle n'avait pas vraiment envie de rester des heures face à lui, avec la désagréable impression d'être jugée. Elle avait déjà ressenti ça par le passé et estimait pouvoir s'en passer sans trop de problèmes.

- Oui, oui.

Il n'avait prononcé que deux mots, mais Alda crut remarquer un léger accent. Elle ne pouvait pas en être bien sûre avec le peu qu'elle avait entendu, mais cette hypothèse la fit sourire davantage. Cela faisait un moment qu'elle n'avait pas rencontré de personnes étrangères à Regalo. Les étrangers étaient toujours amusants. Pas forcément agréables, mais amusants, ça, c'était on ne peut plus sûr. Faire de nouvelles rencontres, aussi banales soient-elles, rendait la vie plus amusante. Surtout si celles-ci pouvaient durer un peu plus que quelques minutes. La Secrétaire avait envie demander son nom à l'inconnu, mais son sourire amusé et son silence l'en dissuadèrent. S'il voulait parler, il parlerait, la rouquine n'avait pas à le forcer.

-Regalo est vraiment une ville étrange.

... D'accord, il venait de parler, après, encore fallait-il comprendre. Au moins, Alda était désormais certaine qu'il n'était pas de Regalo. Et pas Italien tout court. La langue que venait d'employer l'homme lui fit penser à de l'Allemand, ou tout du moins à une langue du Nord, voir de l'Est de l'Europe. Elle ne s'y conaissait absolument pas en langues étrangères et, mis à part quelques mots de français et d'anglais, était une véritable inculte. Cependant, elle crut saisir le mot "Regalo" et ne put s'empêcher d'imaginer ce qu'avait voulu dire le rouquin. Elle n'aimait pas ne pas savoir, ne pas comprendre. Elle aurait bien demander à son interlocuteur de lui faire la traduction, mais elle avait bien compris que, s'il ne l'avait pas déjà fait c'était que soit il ne le voulait pas, soit il ne pouvait pas. Alda le vit rajuster son chapeau et, par instinct, recula d'un pas, se collant au mur opposé. Le regard qu'il lui avait lancé il y a avait à peine quelques secondes l'avait suffisamment perturbée pour que l'idée de se retrouver directement face à lui l'intimide.

-Et... qu'est-ce qu'il y a ?

Ces quelques mots suffirent pour qu'Alda se sente légèrement mieux. La situation n'étonnait visiblement pas qu'elle. Elle regarda le jeune homme ramasser ses courses et en fit de même pour les siennes. Il allait bien falloir qu'elle rentre au manoir un jour... non ? Elle continua à sourire à l'étranger, cette fois avec plus de confiance et s'apprêta à lui répondre. Elle entrouvrit la bouche, avant de la refermer aussitôt. Elle n'allait pas pouvoir sortir de longues répliques théâtrales, ni même faire d'humour pour détendre l’atmosphère, car le borgne risquait de ne rien y comprendre. Pour faire court, elle allait simplement devoir réfréner ses habitudes de comédienne à la manque. Enfin, "simplement", c'est un bien grand mot...

- Euh... Disons que...
- IL EST PASSÉ PAR LÀ !

Lorsque le cri l'interrompit, Alda eut envie de laisser tomber ses courses et d'aller frapper l'impertinent qui lui avait coupé la parole. Ou l'impertinente, vu la voix aiguë qui avait manqué de lui percer les tympans. Elle se retourna pour regarder dans la direction dans la rue principale et aperçut une silhouette familière, celle d'une commerçante paranoïaque qui voyait le mal partout. La dernière fois qu'elle avait été chez elle, la Secrétaire avait manqué de se faire arrêter par des membres de la Famiglia à cause d'un "vol à l'étalage" imaginaire. Autrement dit, elle s'était retrouvée face à des collègues, aussi étonnés qu'elle, et passablement énervés. Pas contre elle, mais contre la femme qui les avait appelés pour... rien. Et, visiblement, elle avait décidé de remettre ça en s'en prenant un étranger sorti de nulle part. Ça expliquait pourquoi le rouquin borgne s'était retrouvé dans cette ruelle, à rire comme un dément. Quoi que, s'il s'était vraiment fait courser, pourquoi riait-il ? Par auto-dérision ? Ou par fierté, parce qu'il avait vraiment commis un larcin ? Alda se retourna vers le jeune homme et le regarda avec plus de froideur qu'elle s'en croyait capable. Quel genre de voleur s'arrêterait dans une rue étroite pour exploser de rire, alors qu'il peut se faire arrêter à tout instant ? Non, vraiment, c'était illogique.

La demoiselle laissa tomber son sac en papier sans trop de regrets et contourna son nouvel acolyte, longeant le mur, s'y collant casiment, évitant ainsi tout contact avec l'homme, puis attrapa le bout de sa manche, tout en prenant grand soin de ne pas toucher sa peau. La proximité physique la gênait toujours un peu, mais cette fois, on battait des records ! Cependant, elle essaya d'ignorer son malaise et adressa un sourire malicieux à l'inconnu au bandeau.

- J'espère que tu sais courir !

Elle ne savait pas très bien pourquoi elle faisait cela. Pourquoi elle aidait un étranger soupçonné d'être un criminel alors qu'elle était censée faire partie des "gentils". Pour le divertissement ? Ou peut-être était-elle simplement stupide... Oui, c'était surement ça ~

[HRP=Ok, désolé pour le retard, je me suis rattrapé sur la longueur, enfin j'ai essayé. Comme mon personnage est assez limité niveau paroles... Well tu vois par toi-même. J'ai compensé par les actions ! Voilà bonne lecture  !]


La gêne ? Connais pas. Le jeune pirate dévisageait littéralement son interlocutrice. En même temps, que pouvait-il, honnêtement, faire d'autre ? Rien, absolument rien. Lui qui avait souvent la langue bien pendue était forcé de laisser sa bouche fermée, faute de mots. Faut de vocabulaire. Ah, quelquefois, le bonhomme songeait vraiment à passer la barrière de la langue. Pourquoi n'y avait-il donc pas de langue universelle ? Il serait pour lors tellement plus facile d'échanger, de dialoguer, d'apprendre les us et coutumes de chaque pays ! Et pourtant non, ici, il se retrouvait face à un mur infranchissable, que seul l'assiduité et l'apprentissage pourrait un jour détruire. Et de là venait le problème. Will était assimilable à une cruche. Imposant à l'extérieur mais vide à l'intérieur. Lui enseigner les bonnes manières ? Quelle blague. Tout au plus tiendrez-vous deux heures à daigner l'éduquer. Tout au plus lui faudrait-il deux minutes pour l'oublier. Will était un imbécile heureux, point à la ligne. Et tant que ce train de vie lui permettait de poursuivre ses ambitions, il ne changerait pas de méthode. Voilà ce qu'il était.

Guidé par les quelques mots qu'il était capable de prononcer, il acquiesça tranquillement aux demandes de la jeune demoiselle. En vérité, elle se trouvait plus petite que prévu. Quel âge avait-elle, au juste ? Le garçon se le demandait. En tout cas, l'éventuel jeune âge de cette dernière permettait de justifier son absence déplorable de poitrine. À cette pensée, le pirate en soupira. Il n'avait pas croisé de nombreuses dames aux belles formes, tout du moins ne les avaient-elles pas là où il fallait. Bref, il était difficile de discuter les goûts de cet homme souvent privé de ses désirs charnels en mer. Will observa avec calme ses courses. Il songea aussi à l'argent qu'il avait volé. Probablement avait-il récolté plus qu'il n'avait dû payer. Bonus. En tout cas, la dame n'allait pas le poursuivre jusqu'ici. Après tout, si sa mémoire ne flanchait pas déjà, il y avait bon nombre de personnes derrière lui à attendre la caisse.

C'est à ce moment-là qu'il se mit alors à demander à la petite dame aux cheveux rouges étranges ce qui n'allait pas. Qu'est-ce qu'il y a. C'était une des phrases qu'il avait le mieux retenu. Oh certes, il aurait tout le temps d'en apprendre d'autre par le futur, mais il fallait dire que celle-ci était plutôt facile et rapide. Enfin... qu'importe à présent il n'allait pas pouvoir poursuivre cette discussion bien longtemps. Quelque part, ça l'énervait un peu, parce que la jeune femme lui donnait l'air d'être très sympathique. Mais d'un autre, il n'allait pas se forcer à essayer de comprendre chacun de ses mots. Ça allait... comment dire... finir par l'agacer bien vite.

- Euh... Disons que...
- IL EST PASSÉ PAR LÀ !

D'accord. Oui. Tout à fait. Absolument en accord avec ces propos. D'un air plus que dubitatif, le pirate restait campé sur ses positions. Le... la situation lui échappait totalement. D'accord, dans un premier temps, il n'avait que moyennement entendu les murmures de la jeune demoiselle – et de toute façon, il ne les avait pas compris – Par la suite, un cri avait retentit du bout de la ruelle sombre. Un cri, oui enfin non c'était de toute évidence une phrase, mais pour Will ce n'était rien de plus qu'un bruit de fond passé au premier plan. L'accent italien l'amusait au plus haut point. Il avait envie de chanter à ses côtés, même s'il était vrai que l'allemand n'était pas particulièrement réputé pour sa mélodieuse sonorité. Mais que voulez-vous, il y avait un début à tout.

Le son proféré peu avant mis la puce à l'oreille du garçonnet. Ça lui rappelait vaguement quelqu'un. Mais alors, d'ici à retrouver l'appartenance de cette voix, il y avait un chemin à faire et visiblement, Will ne possédait guère autant de temps. Un mouvement de sa jeune vis-à-vis lui fit baisser les yeux pour se concentrer sur cette dernière. Allons bon, pourquoi laissait-elle ses affaires derrière elle ? C'était du gâchis, du pur gâchis. Si cela ne l'intéressait pas, autant pouvait-elle les lui donner. Mais, conscient de ne pouvoir exposer ses arguments à l'oral, le pirate garda la bouche close, ronchonnant presque quelque phrases incompréhensibles.

Cependant, il n'eut que peu de temps pour se concentrer à son grommellement intensif, car déjà, la rousse passa en face de lui d'un air bizarre. Elle cherchait à l'éviter, ou bien n'avait-il pas les yeux en face des trous ? Si ses yeux ne roulèrent pas d'un air lassé, c'était par pur respect. Et malgré ce que certains puissent en penser, le voleur en avait beaucoup à revendre !  Tout en continuant à fixer la demoiselle, il l'observa non sans une once de moquerie lui attraper la manche. Si elle détestait la proximité, elle était vraiment tombé sur la mauvaise personne.

- J'espère que tu sais courir !

Ok. Encore une fois, le pirate s'était heurté à un mur de plusieurs dizaines de pieds de haut. Une exclamation, certes. Ce regard amusé sur le visage. Hum, c'était une proposition ? Non, ça ne sonnait pas en tant que tel, ni même sur un ton de défi. Bientôt, le voleur serait capable de débusquer la moindre esquisse d'émotion dans les mots de ses interlocuteurs. Un jour. Pas tout de suite. Pour le moment, il tâcha avec grande difficulté de comprendre ce qui urgeait. Car, croyez-le bien, ne pas suivre une action alors qu'un chronomètre à l'air de vous poursuivre, c'est terriblement frustrant et surtout stressant. Le roux décida alors de la meilleure chose à faire. C'est à dire : attendre. Le chronomètre finirait bien par annoncer le problème, un jour ou l'autre. Eh bien, le pirate attendrait ce dernier moment pour réagir.

-Ah !

Oh et quelle réaction ce fut. Will dans les règles de l'art, venait de comprendre la situation au moment où il vit débouler la grosse vendeuse de supermarché au détour de cette ruelle. Et évidemment, au lieu de fermer cette bouche et ainsi passer inaperçu, le pirate venait en plus de se faire démasquer. C'était vraiment sa veine. Bon, il ne comprenait toujours pas les belles paroles de sa compagnie du jour, mais tout du moins pouvait-il s'en douter. Une invitation, ou... un truc du même style. Il n'allait pas s'attarder sur les mots. Sans attendre, il prit ses courses dans une main et se saisit de celle de la fille dans la sienne précédemment libre, juste avant de s'élancer dans le fond de la ruelle.
HaHa.
Cul de sac.

Se retournant alors brusquement, il lui fallut penser assez vite. Comment élaborer un plan en si peu de temps ? Impossible ? Mince alors, il était capitaine de bateau ! Les plans, il en avait à tire-larigot. Cependant, la présence de cette fille handicapait un peu le jeune homme, ainsi que de ses courses. Il aurait très bien pu escalader le tout, mais bon, c'était dire adieu à sa présence ici, ainsi qu'à sa charmante compagnie. Et bon, ça il en était hors de question. Alors, il regarda par terre. Pas même de morceau de bois pour un quelconque rôle d'épée. Il n'avait pas pris la sienne, ni même un pistolet. Rien qui ne lui permette de se défendre. C'est nul. Autant tenter le tout pour le tout.

Il lâcha main comme courses et fonça tête la première sur son assaillante. Grimpant rapidement sur des caisses sur le côté, il sauta et atterrit derrière la dame. Échappant de peu à une poigne d'enfer, le pirate fit d'abord un croche-pied à la grosse dame, puis s'arrangea pour l'immobiliser quelques secondes, histoire de reprendre ses paquets et la main de la demoiselle. Ça n'allait pas durer bien longtemps, mais permettrait au garçon de s'enfuir. Très vite, il commença à analyser les possibles cachettes. Plus de petites ruelles pour lui aujourd'hui. Ça suffisait comme ça.

Will cracha presque lorsqu'il remarqua le peu de monde dehors. Pas de cachette, rien. Enfin, pas de cachette qu'il puisse actuellement utiliser. Et la dame allait probablement appeler la police ou que sais-je. La seule solution était de foncer jusqu'au port mais... allait-elle pouvoir le suivre lorsqu'il courait vraiment vite ? C'était à essayer. Mais ses amis pirates n'allaient certainement pas apprécier la présence de la rousse. Lui non plus d'ailleurs. Ce bateau avait trop de choses à cacher, alors mieux fallait-il ne pas trop l'en approcher. Hm. La seule solution était de grimper aux bâtiments. Certains avaient beaucoup d'accroches, et une fois sur les quelques toits plats, le pirate serait à l'abri. Alors, sans en attendre plus, il délaissa la demoiselle et prit les anses de ses course dans la bouche, avant de s'élancer face à deux murs opposés et d'entreprendre une courte ascension.

Quelques secondes à peine plus tard, il fut en haut et se retourna. Où était donc passé sa jeune compagnie ? Il ne lui avait même pas demandé son prénom !